Les premiers rayons du soleil tapissent la montagne. Les ruelles et les vieux murs résistent encore à la chaleur, à l’ombre. Il est à peine 8 heures, ce mardi de mars. Sur un banc de pierre, Louise, 84 ans, a déjà pris place sous son acacia. Comme tous les jours elle est seule, à part du monde, car elle est « personne à risque » comme on dit aujourd’hui. Du monde, elle en aperçoit, les jeunes et leurs engins d’entretien qui sillonnent le village, des voisins qui partent travailler. Elle devine aussi quelques murmures de conversations derrière les fenêtres des maisons. Mais ses enfants, ses petits-enfants, elle ne les voit plus, ils ne sont tout au plus qu’une voix au téléphone, ou un passage éclair, masqués et à distance pour subvenir à l’essentiel. C’est surprenant ce que l’on considère comme essentiel aujourd’hui. Que se passe-t-il dans la tête de Louise et de tant d’autres comme elle ? Elle réfléchit sans doute à ce monde d’avant, il n’y a finalement pas si longtemps, où tout le monde marchait dans les rues, aller faire ses courses, tout ça naturellement, sans y penser. Le moment où les gens s’accueillaient, nouaient des relations durables ou temporaires, liés par une sorte d’intimité due à la clarté du monde qui les enveloppait. Mais nous ne faisons plus partie de cette communauté insouciante et charnelle. Je crois que, tous, nous nous demandons si un jour nous serons capables de remonter de ce puits, du noir dans lequel nous sommes tant il devient une habitude. On finit par s’y habituer comme on s’habitue peu à peu à l’obscurité d’une salle de cinéma.
Par Valérie Giovanni. | Photos Sophie Zenon.