« Qu’est-ce que la Méditerranée ? écrivait Fernand Braudel. Mille choses à la fois. Non pas un paysage, mais d’innombrables paysages. Non pas une mer, mais une succession de mers. Non pas une civilisation, mais des civilisations entassées les unes sur les autres »1. La particularité de la Méditerranée est de faire coexister dans un échange continu les diversités. A propos de Rhodes, le journaliste espagnol Manuel Vicent écrit : « Tous sont passés par cette île. En premier lieu les extraterrestres ; puis les singes, suivis par les descendants d’Adam. Puis un défilé de Phéniciens, d’Achéens, de Doriens, de Grecs, de Romains, de Goths, d’Arabes, de Génois, de Catalans, de Vénitiens, d’Ottomans, d’Italiens, de Grecs modernes, et aujourd’hui Rhodes est retombée au pouvoir des extraterrestres, qui seraient ces bandes de jeunes gens blonds en pantalons courts avec leur natte enroulée dans leur sac sur les épaules »2. Mais de telles listes interminables d’envahisseurs sont valables pour tous les coins de la Méditerranée et, bien entendu, pour notre Corse et nous avons, nous aussi, nos « extraterrestres ». Ce terme « Méditerranée » est né bizarrement. A l’origine, mediterraneus est un adjectif alternatif au rare mediterreus, et n’a rien à voir avec la mer. Employé par César, Cicéron ou Tite Live, il a pour sens « à l’intérieur des terres », en opposition à ce qui est littoral et maritime. Pour évoquer la mer, les Romains employaient trois expressions : « mare nostrum », « mare magnum », « mare internum ». Mare nostrum indiquait avant tout pour les Anciens la mer qui était en face d’eux. Ainsi pour Hérodote, il s’agissait de la Méditerranée orientale, qui lui était plus familière que d’autres plus éloignées, mais dont il avait entendu parler comme il le souligne dans le Ier livre de son « Histoire ». Mare Magnum, la Grande mer, désigne chez les Phéniciens et les Hébreux la côte de Syrie et de la Phénicie par opposition à la mer Morte, située à l’Est de leur pays. Le terme « Méditerranée » en référence, enfin, à une mer « intérieure » entre plusieurs terres paraît pourtant prédestiné : trois « parties du monde », c’est-à-dire trois mondes « fort dissemblables, (bordant) ce vaste lac salé », l’Asie, l’Europe et l’Afrique, eux-mêmes enfermés par une mer extérieure, l’Océan.
Par Antoine-Marie Graziani