Le 1er novembre 2008, dans une interview au Monde1, Michel Rocard n’y va pas de mainmorte pour évoquer le rôle des spécialistes de mathématique financière dans la crise qui secouait la finance internationale : « Des professeurs de maths enseignent à leurs étudiants comment faire des coups boursiers. Ce qu’ils font relève, sans qu’ils le sachent, du crime contre l’humanité. » La communauté mathématique fut piquée au vif. Même des mathématiciens qui avaient en horreur les techniques de mathématique financière furent choqués par cette sortie brute de décoffrage de l’ancien Premier ministre. Le regretté Marc Yor, grand nom des techniques de mathématique financière et des probabilités en général, avait pris la plume pour répondre dans la Gazette des mathématiciens en janvier 2009 : Non, répondait-il en substance, notre rôle n’est pas de mettre en danger la société, mais au contraire de l’aider à mieux comprendre les phénomènes sous-jacents aux opérations complexes2. Lointains héritiers de Bachelier, qui dès 1900 avait saisi que les lois de la bourse obéissent au même mouvement brownien aléatoire qui gouverne les trajectoires des minuscules particules, les mathématiciens investissent la finance pour appliquer toute la panoplie de l’analyse et du calcul de probabilités afin de comprendre les lois et les possibilités de cette finance. Y compris pour développer les outils qui permettront de sécuriser les marchés ou d’y changer les règles à bon escient (taxe Tobin ou pas ? limitations du risque ? et ainsi de suite). « Non, Monsieur Rocard, disait Yor, nous n’apprenons pas à nos étudiants à faire des « coups boursiers », mais plutôt que si l’on modifie de façon honnête (c’est-à-dire, avec la seule information du passé) une martingale (c’est-à-dire : un jeu équitable), alors, elle reste une martingale, et l’espérance de ce jeu au cours du temps reste constante. »
Par Cédric Villani - Illustrations Andy Warhol, Mr Brainwash, Obey.