En 1985, l’auteure Marguerite Duras, que l’on questionnait sur sa vision de l’an 2000, nous décrivait de façon visionnaire et intuitive ce qu’elle pressentait. « L’homme sera littéralement noyé dans l’information » disait-elle. « Noyé par une information constante sur son corps, sur son devenir corporel, sur sa santé, sur son travail, sur son loisir ». Elle évoquait ce monde multi écrans qui nous priverait du temps du voyage. « Dans le voyage, il y a le temps du voyage, ce n’est pas voir vite. » Ces propos résonnent forcément avec notre époque et plus encore avec la crise que nous traversons.
L’humanité s’est construite dans la migration, le déplacement, le voyage. Aujourd’hui à coup de confinement et de couvre feux, on nous confisque nos errances salutaires. Alors, de sites en sites, de clic gauche en clic droit, de liens hypertextes en « retour à la page précédente », on erre, navigue. Navigation, hébergement, site, on peut s’étonner du vocabulaire emprunté au voyage, qui finit sans doute par créer un leurre quant à la matérialité du territoire que l’on traverse. L’imaginaire peut- il encore survivre à ces voyages immobiles ? N’est-on pas en train de perdre la connexion au réel ? Le temps de la crise du Covid 19 nous encourage à ne traiter nos relations, notre travail, nos loisirs uniquement via Internet et nos ordinateurs. Il ne reste plus que ce dialogue homme/machine qui peu à peu aveugle nos sens. On finit par ne se fier qu’aux instruments techniques, parce qu’ils sont moins faillibles que nous. On est planqué derrière notre tableau de bord numérique. On peut faire le tour du monde en quelques heures, discuter avec le monde entier en temps réel, créer des communautés pour « produire » ensemble. Mais que reste-t-il des aspérités, des reliefs de nos vies et de nos êtres ? Ce voyage a forcément un prix à payer. Ne nous leurrons pas il s’agit d’une promenade sans but dans un territoire sans passé ni histoire. Nous avons tellement d’instruments que ça nous cache le ciel. Dans ce climat de crise, ce sont, à mon sens les citadins qui en payent le prix fort. Densité, mouvement et vitesse de propagation sont ces activités caractéristiques de la ville que l’on a dû stopper. Mais qui se sont déportées sur le Net. Et dans les villes rien d’autre autour pour souffler. Plus de parenthèse de bien-être pour s’évader.
Par Valérie Giovanni Photos Rita Scaglia et Jérôme Bonnet pour Modds