« Barrès répondait à qui lui demandait ce dont il souffrait le plus à la Chambre : « De voter avec mon parti ». André Gide
Il s’agit là d’une vertu mal considérée, jetée dans la fosse du négatif, à croire que des millénaires de soumission nous ont définitivement condamnés à obéir à tout ce qui commande, décide et punit : la nature, la famille, la convention, l’Église, la morale, les voisins, la police… A chacun de ces ordres nous pouvions refuser de nous soumettre – nous ne l’avons pas fait. Il y a là un mystère. La transgression est-elle impossible ? Elle est dangereuse, sûrement, mais pas plus que la vie elle-même, toujours en péril. Imaginons un instant que Moïse soit descendu de la Montagne avec un code de la désobéissance. Le refus comme réponse et la liberté comme contrat. L’incroyance, l’homosexualité, l’oisiveté, le blasphème, l’avortement, l’errance comme autant de droits raisonnables. La masturbation ne rend pas sourd, le meurtre n’est pas toujours un crime… Plus de Sodome ni de Gomorrhe, plus de Ninive réduite en cendres. La soumission comme faute. La résignation comme délit. Certes, ce ne serait pas facile à vivre, mais la liberté est-elle du domaine de la facilité ? Dans un hangar d’entraînement de parachutistes, dans la France contemporaine, un grand calicot : « Désobéir c’est trahir ». En oubliant simplement que trahir c’est traduire. Et De Gaulle, condamné à mort ? Et Moulin, préfet de la République ? La désobéissance est parfois le seul chemin pour parvenir au mérite de soi-même, à la dignité. La mort pour avoir suivi ce chemin ? Soit ! Et qu’ont-ils fait : Galilée, Jeanne d’Arc, Hugo, Madame de Staël, Gavroche, La Fayette, Spinoza, Antigone, Georges Mandel, Simone Veil, Sénèque, Louise Michel, De Gaulle, Manouchian, Angela Davis, Schoelcher, l’immense cohorte de celles et ceux qui ont – un jour – réfléchi avant d’obéir ? Qu’ont-ils fait, les refuzniks, les boat people, tous les maquisards du monde pour échapper à la folie du pouvoir, à son goût du sang ? Pendant de très nombreux siècles, dans de très nombreux pays, pour toutes sortes de raisons, la soumission a été la règle. Sous peine de bannissement ou de mort. Peut-on envisager le jour où les satrapes, les commissaires du peuple, les inquisiteurs, les polices secrètes, les directeurs de conscience, n’auront plus le dernier mot ? Et pourtant elle tourne, Eppur si muove ! Le murmure de Galilée est un soupir de la conscience…
Par François Léotard | Illustration : Henry Bauchan Antigone