Du temps où il existait encore des villages, de vraies vaches et des cordonniers, la vie était rude et belle. Sur les petites places il y avait de grands arbres et des vieilles dames, des paroles, des jalousies, l’ombre furtive d’un curé, l’odeur des vendanges et des cris d’enfants. Oui, la nostalgie est un sentiment honorable, elle éclaire d’un jour sans cesse nouveau notre refus des mots de passe, des identifiants et des grandes surfaces. Le caddy, ce petit wagon en ferraille, n’avait pas encore été inventé, on disait bonjour madame, au revoir monsieur, et le vieillard, sa canne, sa moustache, sur le banc qu’il avait choisi, faisait plaisir à voir. Ce n’était pas un personnage numérique. Le temps s’était un temps arrêté et le fond de l’air était frais. Les nuages et le vent, la récolte, le lavoir et la cour de l’école prêtaient à longues discussions, pas à des algorithmes. Temps immobile, Chinois lointains, cimetières héroïques, décor de Giraudoux, l’employé des postes et le maire avaient la controverse abondante : sur Dieu, les champignons, le gouvernement, ils n’étaient jamais d’accord. On entendait « ma foi »… comme une conclusion évasive, un doute rural. Cette époque imaginaire, je l’aime bien. Je la construis tel un théâtre, de toutes pièces et en carton-pâte. « On n’arrête pas l’progrès. » Vous êtes sûr ? On aurait peut-être dû… conserver l’humain dans sa dignité éphémère. Le réactionnaire a un profil d’avenir, comme on dit dans les statistiques. Laissons-le ronchonner en chacun de nous. Prenez le Sénat ou la Chambre des Lords. Il faut bien un lieu pour accueillir tout ce monde. Au Sénat, c’est la pesanteur sans la grâce. Pourquoi pas ? Ce n’était pas mieux avant ? C’était mieux ailleurs.
Par François Léotard | Illustration : Suzanne Lalique-Haviland