La crainte du Dieu unique et obligatoire est le début du malheur. Dans l’obscurcissement d’aujourd’hui il serait temps de revenir à l’étonnement devant l’orage, à la parole sacrée des arbres, à la découverte des amours cachées dans les bosquets, mais pas l’immortel leader Maximo qui, éternellement, fout la trouille à Sodome, Ninive et Gomorrhe. Imaginons plutôt de petits dieux. Familiers et farceurs. Des dieux de proximité, diraiton maintenant. Ainsi chaque rencontre, dans la vie, avec la mélancolie, le courrier, la télé, serait celle d’un petit dieu amical et ondoyant. Oui, on lui en veut un peu au Dieu Tout-Puissant, solitaire et vengeur. Jaloux, comme il se désigne lui-même dans la Bible. Combien de morts ? Foule muette éternellement renouvelée. Il faudrait ajouter aux morts dites naturelles, les protestants torturés, les juifs brûlés, les chrétiens décimés ici ou là, les cathares et autres yézidis, orthodoxes, maronites, fous d’Allah. Tout cela au nom de la vraie foi. Celle-ci suppose des mercenaires, des enfants drogués, des armées coloniales, des instruments de supplice, des tribunaux, toutes sortes de décapitations et de bûchers. On pourrait ajouter : Galilée résigné dans son coin, les livres détruits, les mahométans déchaînés, Palmyre et les croisades, le maréchal Pétain qui allait à la messe en envoyant les juifs à la mort et l’autre maréchal, l’enfumeur de grottes, Bugeaud, Isabel et Ferdinand, tous les fous de Dieu. Le Dieu miséricordieux et compatissant, le Dieu furieux (le même…), celui du mea culpa et du « peuple déicide », celui de toutes les excommunications, anathèmes et fatwas, il faut le laisser mourir assoiffé sur la peau du monde. Pour y suppléer, il y aura des petits dieux partout. Sans majuscule, ni trop d’arrogance… Éros par exemple. C’est un dieu merveilleux avec ses petites flèches qui vous traversent le coeur ! C’est le dieu qui a inventé le coup de foudre. Vous suivez une jeune fille dans la rue, un jeune homme sur une terrasse et hop ! il vous décoche une flèche, car il vous aime et il aime ce que vous aimez. Prenez Athéna et allez place de la Sorbonne : elle y est, dissertant avec de jolies étudiantes, elle brille d’une petite et délicieuse lumière. Zeus qui couche avec tout le monde, qui se déguise tous les jours, l’aime d’amour… Zeus c’est le fou gentil des hôpitaux psychiatriques. Il se prend pour Napoléon ? Et alors ? Nous savons que l’invisible nous attend… C’est pour plus tard, une histoire qui se raconte entre squelettes… Les petits dieux, on n’est pas obligé d’y croire. Il n’y a pas d’Église sérieuse derrière, pas vraiment de clergé pour vous embastiller. Vous pouvez blasphémer, ils s’en foutent. Ils font comme s’ils n’avaient rien entendu et passent telles des ombres. Il est vrai que l’athéisme nous laisse bien seuls, sans désirs, uniquement confrontés à l’absence, à la tristesse… Alors posez des dieux à tous les carrefours et vous verrez que la ville sera plus belle. Elle se mettra à parler, à gémir, à s’occuper de ses illusions. Le paradoxe c’est qu’elle sera plus humaine…
Par François Léotard | Illustration : Marc Chagall.