La peine de mort étant abolie, on ne se prive pas de prononcer des arrêts de mort sociale, et les mêmes qui s’indignent de la violence institutionnelle pratiquent sans états d’âme le matraquage verbal. Appauvrie par l’inculture, aseptisée par le vocabulaire technique qui l’envahit chaque jour davantage, la langue française devient maintenant la complice d’un lavage de cerveau qu’on administre même aux jeunes enfants, contraints par l’école à se préoccuper de questions qu’ils ne se seraient pas posées si on les avait laissés se livrer à des occupations de leur âge au lieu d’avoir à se faire une opinion - et la bonne ! - sur la « transphobie » par exemple. Car l’heure est aux « phobies » en tous genres, et la multiplication de ces folies supposées furieuses va probablement contraindre les procureurs des nouveaux tribunaux révolutionnaires à inventer des sous-catégories verbales tant on aura bientôt besoin de cellules plus individualisées où enfermer les ennemis de la bienséance sociétale. La « phobie » n’est-elle pas une forme d’insanité qui nécessite un traitement radical à la mesure de sa dangerosité ?
Le processus accusateur est pourtant clair : à chaque problème non réglé, à chaque question refoulée ou méritant un traitement plus nuancé, correspond désormais une « phobie » qui dissuade d’en parler, d’y réfléchir, et de s’opposer s’il le faut à l’esprit du temps. On oublie qu’être véritablement phobique (agoraphobe, claustrophobe) est une souffrance qui empoisonne la vie, et que la vraie victime est celui ou celle qui subit l’emprise d’une panique aussi irraisonnée qu’incontrôlable. Le traitement des phobies fut d’ailleurs un des premiers chantiers de la psychanalyse avec celui de l’hystérie. Qu’à cela ne tienne puisque ce sont les nouveaux « phobes » qui, possédés par la peur ou la haine de l’Autre, sont censés faire des victimes à l’endroit desquelles devrait s’exprimer la compassion collective.
Par Françoise Bonardel – Illustration : Modigliani Madame Kisling, Portrait d’une femme