De l’hospitalité, comme l’un des beaux-arts
E Caselle est un hôtel-restaurant fondé en 1966 à Venaco par Jean Pagni, à l’orée de la rivière Vecchju. Soucieux de s’intégrer à ce site exceptionnel, il avait fait appel à l’architecte insulaire Pierre Puccinelli qui a activement incarné le courant moderniste. Pierre Puccinelli a en effet fait partie de L’Œuf centre d’études, une équipe de design pluridisciplinaire qui a existé entre les années 1960 et 1990 et réalisé des œuvres abstraites ou cinétiques, tout en travaillant au cabinet d’architecture Roger Anger avec lequel il a pensé la célèbre Île-Verte à Grenoble, les tours rue Erard à Paris, ou encore la ville expérimentale d’Auroville, près de Pondichéry en Inde. En Corse, on lui doit notamment les aéroports de Poretta et Ajaccio, et l’Hôtel du Département à Bastia – dont l’esthétique est certes fort différente de ses réalisations venacaises. L’enjeu, ici, était de respecter l’architecture traditionnelle des pagliaghji, les habitats de bergers qui, dans la région, mettent en valeur, les galets de la rivière. Soixante ans plus tard, le fils de Jean Pagni, Jean-Emmanuel, et Paul Rognoni réinventent le lieu, en restaurant le geste architectural de Pierre Puccinelli et en ajoutant aux activités d’accueil hôtelier un lieu d’art : A Fabrica Culturale Casell’arte3. L’un est comédien et collectionneur d’art contemporain, l’autre producteur de cinéma et de musique, de sorte que le site de 10 hectares est à présent constellé de créations, pensées en interaction avec le lieu et animé fréquemment de concerts. Une réponse pertinente aux défis actuels et futurs qui vont se poser pour l’île : sortir d’un tourisme de masse aussi destructeur pour l’environnement que pour la population – puisque cela appauvrit l’offre professionnelle et pousse à l’exil – tout en conservant un sens de l’hospitalité qui nous est cher. Faire de la Corse une terre vivante, rayonnante de création, de sorte que sa beauté tant commentée – à tel point qu’elle semble effrayer ou paralyser, parfois trouve bien des miroirs, bien des échos, bien des interlocuteurs.
Par Laure Limongi - Illustrations : Rita Scaglia